“Je suis le fruit d’une forme de
brutalité de l’Histoire.” Macron, le 13 février 2018, devant la presse
présidentielle.
Certes, l’État définit bien ce
Moloch qui dispose du monopole de la violence légale: mais pour quoi faire?
Sauf irénisme radical, la nature humaine étant ce qu’elle est, il n’est en
effet pas question d’imaginer un monde dans lequel on n’aurait plus besoin
d’armée ou de police, de tribunaux ou de prisons, de loi et de droit. Si l’on
estime qu’un violeur n’est pas un violé, un agresseur un agressé, un voleur un
volé, un pilleur un pillé, un frappeur un frappé, il faut bien qu’une série de
mécaniques sociales permette d’appréhender le violeur, l’agresseur, le volé, le
frappeur afin de le déférer aux tribunaux qui jugent des faits en regard de la
loi et du droit, et envoient la personne jugée coupable purger sa peine au nom
de la réparation du violé, de l’agressé, du volé, du pillé, du frappé, mais
aussi dans la perspective de protéger d’autres citoyens de la dangerosité de
ces délinquants. Qu’il existe des circonstances aggravantes ou atténuantes, que
chacun, quel que soit ce qu’on lui reproche, ait droit à la défense, puis à la
réparation une fois la peine accomplie, tout cela est acquis.
La violence légale suppose
qu’elle puisse être utilisée afin de maintenir la légalité -ce devrait être une
lapalissade… Or, quand, mi-septembre 2018, les gilets-jaunes font savoir, au
début de leur colère, que leur pouvoir d’achat ne leur permettra pas de payer
des taxes supplémentaires que le pouvoir inflige en augmentant le prix des
carburants à la pompe, ils ne mettent pas en péril la démocratie et la
République puisqu’ils en appellent aux articles 13 et 14 de la Déclaration des
droits de l’homme et, ne l’oublions pas, du citoyen. Par leur mouvement, ils revendiquent
l’un de ces droits que ce texte majeur leur accorde. Je l’ai déjà signalé, mais
rappelons en effet que l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme dit
ceci: “Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses de
l’administration, une contribution commune est indispensable; elle doit être
également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.” Et
l’article suivant, ceci: “Les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes
ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la
consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité,
l’assiette, le recouvrement et la durée.” Les gilets-jaunes n’ont pas refusé
l’impôt, comme la propagande médiatique le rabâche depuis des semaines afin de
les assimiler aux populismes fascisants, mais ils font juste savoir qu’ils
n’ont plus financièrement les moyens de les payer! D’un point de vue
gouvernemental, une réponse appropriée aurait permis d’étouffer la colère dans
l’œuf. Au lieu de cela, la riposte a été tout de suite belliqueuse: c’est
l’origine de la violence.
Ce bellicisme a pris la forme que
l’on sait: des éléments de langage du pouvoir macronien ont été fournis puis
abondamment relayés par les “élites”: le mouvement des gilets-jaunes était une
jacquerie d’extrême-droite, une revendication populiste qui sentait sa chemise
brune, un mouvement qui puait le “facho”. BHL le fit savoir illico en même
temps que… Mélenchon et Clémentine Autain, Coquerel et la CGT qui rejoignaient
ainsi dans leur concert populicide tous les éditorialistes de la presse
maastrichtienne.
Macron n’est pas bien malin, car
Pompidou mit fin à Mai 68 avec un cynisme qui aurait pu l’inspirer: deux
inconnus à l’époque, il s’agit d’Henri Krasucki de la CGT, donc du PCF, et
Jacques Chirac, alors secrétaire d’Etat à l’emploi auprès du ministre des
Affaires sociales, se rencontrent dans le cabinet d’un avocat communiste.
Chirac dira qu’il s’agissait d’une chambre de bonne et prétendra qu’il s’y
était rendu armé… Il y aura plusieurs réunions avant qu’officiellement le
sécrétaire général de la CGT, Georges Séguy, et les autres syndicats ne
rencontrent Chirac et… Balladur, alors conseiller de Chirac, pour préparer ce
qui deviendra les Accords de Grenelle. La négociation a grandement payé: hausse
des salaires spectaculaires, augmentation du SMIC sans précédant, réduction de
la durée hebdomadaire du temps de travail, élargissement du droit syndical,
coup de pouce aux allocations familiales, augmentation de la prestation offerte
aux personnes âgées, paiement des journées de grève, baisse du ticket
modérateur de la sécu. La CGT revient auprès de sa base avec ces propositions:
les ouvriers refusent; les accords signés unilatéralement par le pouvoir sont
tout de même appliqués -déjà la collusion des pouvoirs gouvernementaux et
syndicaux, les fameux corps intermédiaires. Le travail reprend quelques jours
plus tard. Le pouvoir joue sur l’inflation: deux ou trois ans après, les
avantages consentis disparaissent avec l’augmentation du coût de la vie. Exit
Mai 68! Leçon de cynisme politique, mais également leçon sur le cynisme de ce
qu’il est donc convenu d’appeler les corps intermédiaires: le pouvoir
néo-gaulliste et le pouvoir néo-communiste se séparaient moins sur leurs
options politiques qu’ils ne se rassemblaient sur ce fromage qu’est toujours la
représentation qui permet de laisser croire au peuple qu’on travaille pour lui
alors qu’on œuvre bien souvent à ses dépens pour sa seule boutique.
Revenons aux gilets-jaunes:
Macron fait annoncer par son premier ministre un moratoire sur le prix de
l’essence début décembre. Mais un moratoire est la formule qui permet de
reculer pour mieux sauter -en l’occurrence: sauter par-dessus les élections
européennes pour lesquelles, chacun l’a désormais bien compris, le président de
la République est en campagne. C’est la raison pour laquelle il instrumentalise
la crise des gilets-jaunes pour son propre compte et celui du camp
maastrichtien. Il n’y a pas d’autres raisons à son Grand Débat national
puisqu’il a bien pris soin d’en donner la règle du jeu dès le départ: on parle
-enfin: il parle-, mais pas question de changer de cap. Pourquoi donc parler? A
quoi bon? Pour quoi faire?
Après l’annonce d’un moratoire
pour signifier qu’on accorde un délai avant d’actionner tout de même la
guillotine, première violence symbolique, il y a eu l’assimilation par le
président de la République des gilets-jaunes à “une foule haineuse” constituée
d’antisémites, d’homophobes, de racistes lors des vœux de 2019, ce fut la
deuxième violence symbolique. Elle a été suivie par une troisième avec cette
annonce de LA solution avec un Grand Débat national doublé du refus d’un
changement de cap. D’autres violences sont depuis régulièrement infligées.
Ainsi avec cette série de gifles distribuées au grès de ses apparitions
publiques: une quatrième à la galette des rois quand le prince fait savoir que
tous les Français n’ont pas le goût de l’effort en laissant entendre que c’est
le cas des gilets-jaunes (11 janvier 2019); une cinquième lors d’un meeting
présenté comme un débat, quand il affirme, que, parmi certains qui touchent les
minimas sociaux, “il y en a qui déconnent” (15 janvier 2019) en n’ignorant pas
que cette catégorie sociologique est surreprésentée chez les gilets-jaunes; une
sixième en faisant savoir de façon quelque peu méprisante, toujours lors d’un
de ces meetings de campagne maastrichtien, que “la vraie réforme, elle va avec
la contrainte, les enfants! C’est pas open bar. Le bar, c’est le nôtre.” (24
janvier 2019 à Bourg-de-Péage) -la vraie réforme, c’est donc la sienne, pas
celle des gilets-jaunes; les “enfants” qu’on toise de façon méprisante, ce sont
ces mêmes gilets-jaunes; et la mention du bar, c’est encore aux GJ que l’image
s’adresse, on ne peut mieux dire que, pour le chef de l’Etat, les gilets-jaunes
sont de faux réformateurs qui pensent comme des enfants assimilés à des piliers
de bistrot…
Ces violences symboliques sont
copieusement démultipliées par le pouvoir médiatique maastrichtien. On l’a vu.
Il s’agit d’assimiler les gilet-jaunes à des gens violents et tout ce qui peut
illustrer cette thèse se trouve savamment mis en images et en mots par les
médias qui se contentent de relayer les éléments de langage venus de la cellule
communication de l’Elysée, de celle de Matignon ou bien encore de celle du
ministère de l’Intérieur. Macron est un enfant-roi colérique et intolérant à la
frustration, Edouard Philippe un animal à sang froid bien cravaté, propre sur
lui et poli, Castaner un gouailleur ayant gardé quelques habitudes de son
ancienne fréquentation du milieu marseillais, mais c’est le même discours: les
gilets-jaunes sont violents, ils attaquent la République, y compris avec un
transpalette moins gros qu’une voiture sans permis, ils mettent en péril la
démocratie, ils annoncent une révolution néo-fasciste… BHL prête sa chemise à
ces discours. Les éditorialistes pensent comme cette chemise. D’autres
“intellectuels” offrent une partie de leur anatomie à cette même chemise.
Cette violence symbolique, dont
le bras armé est constitué par les médias du système, se double d’une violence
policière. On sait que les mots tuent, mais pour ce faire, il leur faut des
acteurs violents: le pouvoir en dispose avec un certain nombre de gens de
justice et de gens de la police qui, sachant qu’ils bénéficient d’une
couverture venue du ministère de l’Intérieur, donc de Matignon, donc de
l’Elysée, donc d’Emmanuel Macron, s’en donnent à cœur joie.
Je me suis retrouvé sur un
plateau de télévision avec Jean-Marc Michaud, qui a perdu un œil à cause d’un
tir de flash-ball. Il a dit toute sa colère contre le tireur -et je le
comprends. C’est le premier mouvement, quand on a été violenté, de vouloir
riposter de la même manière. On reçoit un coup, on n’a pas envie d’autre chose
que de le rendre au centuple. Le cerveau reptilien fait la loi tant que le
cortex n’effectue pas son travail.
Certes, il y a une responsabilité
du tireur: mais si ce tireur sait qu’il aura des comptes à rendre à la justice
si sa hiérarchie lui reproche de s’être mal comporté en ne respectant pas les
procédures -dont celle, majeure, de ne jamais viser la tête…-, alors il se
comportera probablement autrement.
Mais, quand on sait pouvoir
bénéficier de l’impunité du pouvoir, alors on tire ou on tabasse sans état
d’âme et, pour l’avoir constaté par moi-même à Caen, avec certains spectateurs
de ces opérations, une jubilation non feinte à cogner, taper, tabasser,
projeter violemment au sol, menotter, mais aussi, dans certains cas sur
lesquels je me penche ces temps-ci: dénuder et palper…
J’ai déjà dit ailleurs que je
supposais que certains policiers noyautaient les casseurs pour nourrir la thèse
du pouvoir selon laquelle tous les gilets-jaunes sont violents. Après que j’ai
donné cette information, d’aucun parmi les gilets-jaunes m’ont fait savoir par
courrier qu’ils en détenaient les preuves. Je reviendrai sur ce sujet le moment
venu.
Mais sans se focaliser sur ce cas
particulier, il suffit de lire, sous la plume du maire divers droite, donc pas
un gauchiste, Xavier Lemoine, une intéressante information. Il affirme dans Le
Figaro qu’en tant que maire de Montfermeil, il a constaté que “la police a
moins réprimé les émeutes en banlieues en 2005 que les Gilets Jaunes” (29
janvier 2019). Tout est dit.
Le maire constate qu’en 2005 il
n’y a eu aucun mort et peu de blessé parmi les émeutiers bien que ces derniers
aient choisi la violence comme unique moyen d’expression. Il en donne la
raison: la police avait alors choisi une opération de maintien de l’ordre et
non, comme Macron, une logique de répression. Or, maintenir l’ordre n’est pas
réprimer. Ce sont deux choix politiques extrêmement différents idéologiquement,
politiquement, stratégiquement, tactiquement -et aussi moralement. Emmanuel
Macron a sciemment choisi de réprimer et non pas de maintenir l’ordre. Le chef
de l’Etat n’a donc pas voulu contenir les violences revendicatives mais
déchaîner les violences d’Etat. C’est à dessein.
Xavier Lemoine constate que le
choix du maintien de l’ordre vise, comme les mots l’indiquent, à chercher avant
tout à maintenir l’ordre, donc à éviter le désordre. J’y reviens: on ne me fera
pas croire que laisser dépaver l’avenue des Champs-Elysées sous les objectifs
des caméras de BFMTV pendant presque une heure ne témoigne pas du fait que le
forces de l’ordre n’avaient pas eu pour consigne d’empêcher le désordre,
c’était facile à faire sans violence, mais, au contraire, de le favoriser en
laissant ces pavés devenir des projectiles en attente de leurs cibles humaines
ou matérielles…
Parlant de sa ville, Xavier
Lemoine dit: “En 2005, la totalité (sic) des revendications se sont exprimées
par la violence. Or, à l’époque, les forces de l’ordre ont adopté le mode
d’intervention le plus approprié qui soit pour faire retomber cette violence.
D’un point de vue technique, leur attaque a été souple et remarquable. Alors
qu’ils étaient pris pour cibles par les émeutiers, policiers et gendarmes ont
montré une grande retenue dans l’usage de la force. Aujourd’hui, au contraire,
nul ne peut prétendre que toutes les revendications des ‘gilets jaunes’
s’expriment par la violence. En outre, en 2005, il n’y avait aucune femme parmi
les émeutiers, alors que les femmes sont présentes massivement dans les rangs
des ‘gilets jaunes’. Ne pas le prendre en compte, c’est se priver d’un élément
d’analyse fondamental. Contrairement à ce que la puissance des images peut
laisser penser, la majorité des ‘gilets jaunes’ ne participe pas aux violences
condamnables commises lors de ce mouvement. Pourtant, depuis le samedi 8
décembre, les forces de l’ordre privilégient la répression, et non le maintien
de l’ordre.” Au journaliste qui lui demande de préciser ce qui distingue
maintien de l’ordre et répression, Xavier Lemoine répond: “Le maintien de
l’ordre consiste d’une part à permettre à une manifestation de s’écouler de la
manière la plus pacifique qui soit, et d’autre part contenir la violence en vue
de la faire diminuer. Cet objectif n’interdit pas aux policiers d’intervenir
contre des personnes déterminées à des actes de violence” -je songe à ceux qui
dépavent l’avenue des Champs Elysées…
Il poursuit: “Mais il est
toujours laissé aux manifestants pacifiques des portes de sortie. Les
intéressés peuvent ainsi quitter les lieux quand ça dégénère. La répression,
elle, consiste à en découdre contre des groupes sans faire nécessairement la
distinction entre les individus violents et les manifestants paisibles, qui
peuvent se trouver loin d’eux. Or, dans la crise actuelle, les forces de
l’ordre recourent trop souvent aux ‘nasses’, qui l’empêchent les personnes
encerclées de quitter les lieux. Il est facile alors de faire des amalgames
entre des manifestants très différents. Parmi les éborgnés, combien avaient
cassé des vitrines, retourné des voitures, pillé des magasins? De même, le
souci de différencier les casseurs ‘confirmés’ et les primo-délinquants devrait
être beaucoup plus net.” Pour Xavier Lemoine, les forces de l’ordre obéissent à
un pouvoir qui a choisi la répression et la brutalité. Elles obéissent. Le
responsable, donc le coupable, est celui qui donne l’ordre. Et, comme on ne
peut imaginer que Castaner ou Philippe prennent la décision seuls, c’est au
chef de l’Etat qu’il faut imputer le choix de la répression, donc chaque
blessure infligée. Quand ce même chef de l’Etat affirme éhontément en Egypte
que les forces de l’ordre n’ont causé aucun mort alors qu’on leur doit celle de
madame Redoine à Marseille, il ment. Et il est personnellement responsable de
cette mort [1]. La brute, c’est lui.
Lisons encore Xavier Lemoine: “Je
n’incrimine en rien les forces de l’ordre, qui obéissent, comme il est naturel,
aux instructions du ministre de l’Intérieur. Mais je blâme ces instructions,
qui me paraissent traduire une volonté de monter aux extrêmes, d’accroître la
violence pour justifier une répression. Je n’ai aucune complaisance pour les
violences préméditées des casseurs ou des groupuscules extrémistes. Mais la
responsabilité du politique est aussi de savoir désamorcer un cri de détresse,
au lieu de l’alimenter en diabolisant les ‘gilets jaunes’. Jamais les
gouvernants, en 2005, n’ont tenu des propos aussi méprisants envers les
émeutiers d’alors. Actuellement, une partie importante des violences émane de
manifestants sans casiers judiciaires, désespérés et chauffés à blanc. Ils se
sentent provoqués par la rigidité de la riposte de la police. La dynamique de
foule aidant, ils se ‘radicalisent’. Leur réflexe vital s’exprime de façon
brutale. En 2005 aucune manifestation n’avait été déclarée en préfecture et
toutes dégénéraient en émeutes. Pourtant, à l’époque, en Seine-Saint-Denis, il
n’y a eu aucune charge de CRS, ni de policiers à cheval. Aujourd’hui, si. Voilà
quatorze ans, les forces de l’ordre n’ont pas recouru au tir tendu, à
l’horizontal, à face d’homme et à courte distance. Aujourd’hui, si. Pourquoi
ces deux poids, deux mesures de l’Etat entre les émeutes urbaines de 2005 et
les scènes d’émeutes des ‘gilets jaunes ‘? Je ne juge pas que les forces de
l’ordre ont été laxistes en 2005 ; j’affirme qu’elles sont trop ‘dures’
aujourd’hui.”
Que le président Macron ait
choisi la ligne dure de la répression contre la ligne républicaine du maintien
de l’ordre est donc avéré. Il a donc à son service la presse maastrichtienne,
autrement dit les médias dominants, dont ceux du service public audiovisuel, il
a mis à son service la police, l’armée, donc les forces de l’ordre, il a
également essayé d’y adjoindre la machine judiciaire. Ce dont témoigne un
article du Canard enchaîné (30 janvier 2019) intitulé “Les incroyables
consignes du parquet sur les gilets jaunes”, qui rapporte dans le détail
comment le ministère dit de la Justice a communiqué par courriel avec les
magistrats du parquet de Paris sur la façon de traiter les gilets-jaunes: après
une arrestation, même si elle a été effectuée par erreur, il faut tout de même
maintenir l’inscription au fichier du traitement des antécédents judiciaires
(TAJ), y compris “lorsque les faits ne sont pas constitués”. Le courrier
précise également qu’il faut ficher, même si “les faits sont ténus” et même
dans le cas avéré “d’une irrégularité de procédure”! Dans ces cas-là,
arrestation par erreur, infraction non motivée, irrégularité de procédure, il
est conseillé de maintenir les gardes à vue et de ne les lever qu’après les
manifestations du samedi afin d’éviter que les citoyens fautivement interpellés
puissent exercer leur droit de grève, faut-il le rappeler, un droit garanti par
la Constitution? Alinéa 7 du préambule…
Ajoutons à cela que le projet de
loi dit “anti casseurs” proposé par Macron se propose purement et simplement
d’instaurer une présomption de culpabilité à l’endroit de quiconque serait
suspecté d’être sympathisant de la cause des gilet jaune. Suspecté par qui? Par
la même justice à laquelle le pouvoir demande, premièrement, de conserver en
garde à vue une personne même arrêtée par erreur, deuxièmement, de ne la
relâcher qu’après la fin des manifestations, troisièmement, d’agir de même y
compris dans le cas d’une erreur de procédure, quatrièmement, de ne pas se
soucier du fait que les faits soient avéré, la ténuité suffisant pourvu que la
justice macronienne soutenue par la police macronienne elle-même au ordre de
l’idéologie macronienne, qui est purement et simplement celle de l’Etat
maastrichtien, aient décidé qu’il en soit ainsi. Mélenchon a pu parler à ce
propos du retour de la lettre de cachet, il n’a pas tort sur ce sujet.
La violence généalogique, celle
qui s’avère fondatrice des premières revendications des gilets-jaunes, c’est
d’abord et avant tout celle qu’impose le système politique libéral installé de
façon impérieuse par l’Etat maastrichtien depuis 1992. Quand Macron dit que les
racines du mal sont anciennes, il ne le sait que trop, car il est l’un des
hommes dont la courte vie a été entièrement consacrée à l’instauration de ce
programme libéral qui s’avère fort avec les faibles, on le voit dans les rues
depuis douze semaines, et faible avec les forts, on le constate avec la
législation qui leur est favorable -de la suppression de l’ISF au refus de
s’attaquer aux paradis fiscaux en passant par la tolérance du fait que les GAFA
échappent à l’impôt.
La violence de cet Etat
maastrichtien sur les plus faibles, les plus désarmés, les moins diplômés, les
plus éloignés de Paris ou des mégapoles françaises; la violence de cet Etat
maastrichtien sur les plus précaires en tout, sur les gens modestes qui portent
tout seul le poids d’une mondialisation heureuse pour d’autres qui les
conchient à longueur d’apparitions médiatiques; la violence de cet Etat
maastrichtien sur les oubliés des nouvelles compassions du politiquement
correct; la violence de cet Etat maastrichtien sur les femmes seules, les mères
célibataires, les veuves aux pensions de retraite amputées, les femmes
contraintes de louer leur utérus pour qu’on y dépose un sperme mercenaire, les
victimes des violences conjugales surgies de la misère, les jeunes garçons ou
les jeunes filles qui se prostituent pour payer leurs études; la violence de
cet Etat maastrichtien sur les ruraux privés jour après jour du service public
que leurs impôts indirects financent pourtant; la violence de cet Etat
maastrichtien sur les paysans qui se pendent tous les jours parce que la
profession de foi écologiste des maastrichtiens urbains ne s’encombre pas
d’écologie quand il s’agit de l’assiette des Français qu’ils remplissent de
viandes avariées, de produits toxiques, de chimie cancérigène, d’aliments en
provenance du bout de la planète sans souci de la trace carbone et qui peuvent
même être bios; la violence de cet Etat maastrichtien sur les générations
d’enfants crétinisés par une école qui a cessé d’être républicaine et qui
laisse aux seuls filles et fils de la possibilité de s’en sortir non pas grâce
à leur talents, mais avec l’aide du piston de leurs familles bien nées; la
violence de cet Etat maastrichtien qui a prolétarisé des jeunes n’ayant plus pour
seul espoir que la sécurité de l’emploi du policier, du gendarme, du militaire
ou du gardien de prison et dont le métier consiste à gérer par la violence
légale les déchets du système libéral; la violence de cet Etat maastrichtien
sur les petits patrons, les commerçants, les artisans qui ignorent les
vacances, les loisirs, les week-end, les sorties -ces violences là, oui, sont
les violences premières. Ce sont celles qui n’ont pas généré de violence, mais
juste une première manifestation contre l’augmentation du plein d’essence.
La réponse du pouvoir, donc de
Macron, à cet aveu de pauvreté des pauvres a été tout de suite la
criminalisation idéologique. Les médias aux ordres ont crié au loup fasciste.
Depuis plusieurs mois, c’est leur pain quotidien: selon les riches qui les
gouvernent, les pauvres seraient donc antisémites, racistes, homophobes,
violents, complotistes -“salauds” dit-même BHL chez Ruquier. C’est la vielle
variation sur le thème: classes laborieuses, classes dangereuses. C’est
l’antienne de tous les pouvoirs bourgeois quand ils ont peur.
Le pouvoir de l’Etat
maastrichtien manœuvre assez bien pour que, jusqu’à ce jour, sa responsabilité
ne soit jamais mise en cause! C’est pourtant lui le problème! C’est tellement
lui le problème que Macron veut en faire la solution en expliquant que le
problème de l’Europe libérale; c’est qu’il n’y en a pas assez alors que les
gilets-jaunes lui disent justement qu’il y en a trop -non pas d’Europe, mais de
libéralisme.
Dès lors, le chef de l’Etat
mobilise les médias qui désinforment, la police qui traque le manifestant, la
justice qui les coffre sévèrement, la prison qui les parque quand l’hôpital ne
les soigne pas après tabassages. A partir de quel moment comprendra-t-on que
nous disposons là des pièces d’un puzzle despotique?
Michel Onfray
________________________________
[1] Pour mémoire :
Source : Michel Onfray, février 2019
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